Cette pièce de théâtre aborde des sujets sociétaux (telle que la discrimination raciale) en des termes durs et francs qui risquent de heurter la sensibilité des plus vulnérables (il n'y absolument rien de péjoratif, chacun a son baromètre émotionnel et se doit d'être à l'écoute de ses besoins). Donc je vous invite à abréger votre lecture si vous sentez qu'elle risque de vous impacter négativement.
ACTE I
SCÈNE IV
Luther, Emmanuel
La BRAV-M fait une arrivée remarquée sur les quais de scène alors que deux potes de longue date discutaient de leur parcours après de longues années passées sans prendre de nouvelles, la conversation dévie alors sur la façon dont sont traités les non blancs en Macronie.
LUTHER
Il souffle.
Il ne manquait plus qu'eux pour gâcher la fête.
EMMANUEL
Il imite l'étonnement.
Pourquoi tu dis ça ?
LUTHER
Il le regarde dans les yeux.
Pour rien t'inquiètes. La dernière fois qu'on a parlé de la police toi et moi, on ne s'est pas adressé la parole pendant cinq ans, donc je préfère autant qu'on parle d'autre chose.
EMMANUEL
Il rit à gorge déployée.
Justement, nous ne sommes plus les mêmes personnes qu'il y a cinq ans, donc crache le morceau !
LUTHER
Il lève les yeux aux ciel.
Disons que je ne suis pas le plus grand fan de la police qui soit et ça ne date pas d'hier. Quand j'avais 11 ans, je jouais dehors avec un bout de bois et ils m'ont contrôlé assez violemment, j'ai failli finir au poste parce que je n'avais pas ma carte d'identité. Heureusement, ma mère venait me chercher à peu près au même moment, sinon, je ne sais pas comment les choses se seraient terminées pour moi. Ce premier contrôle de police m'a laissé un goût amer, pour ne pas utiliser le terme « traumatisme » parce que je ne faisais absolument rien de mal si ce n'est m'amuser. Puis il y en a eu des dizaines d'autres, le dernier contrôle remonte à la semaine dernière…
D'un ton humoristique.
Il faut croire que je suis un peu trop foncé pour ce pays parfois.
EMMANUEL
Tu exagères, ils ne font que leur travail. La plupart du temps, pour ne pas dire dans la majeure partie des cas, ils sont dans leur bon droit, il n'y a qu'à voir comment les banlieusards foutent le bordel dans la capitale au lieu de rester dans leur HLM.
LUTHER
Il soupire.
Tu vois Manu, je t'avais dit que ce n'était pas une bonne idée de parler de ça avec toi. Donc je vais faire la sourde oreille, et tu vas me raconter ce que tu deviens depuis toutes ces années.
EMMANUEL
Non mais attends, ne le prend pas comme ça, ce que je veux dire c'est qu'il y a de vrais exemples qui témoignent de l'importance de l'usage de la force par les gardiens de la paix envers certaines populations. Hier, j'étais dans le huitième, et les flics contrôlaient trois jeunes qui venaient de voler dans un Monoprix. Devine qui était à l'initiative du vol ? Karim, adolescent de 16 ans qui n'avait rien de mieux à faire que d'embrigader ces deux amis français pour les emmener voler.
LUTHER
Il répond avec un calme.
Tu les as vu voler ? Tu as entendu le petit Karim programmer le vol ou c'est simplement la déduction que tu en as fait après l'avoir vu en train de se faire contrôler ? D'ailleurs, est-ce que son prénom était réellement Karim ? Et tu as demandé aux deux autres jeunes quelle était leur nationalité pour affirmer qu'ils étaient français ? C'est quoi ces remarques creuses là ?
EMMANUEL
Il rigole.
Non mais t'as compris, le môme c'était un arabe et les deux petits blancs avaient l'air complètement paniqués, donc c'est sûr que ce n'était pas leur idée. C'est toujours les mêmes qui volent, c'est pas nouveau.
LUTHER
Il soupire.
Le temps passe, mais tu ne changes pas. C'est dommage qu'il n'y ait eu aucune évolution positive dans ta façon de penser depuis tout ce temps. On se connait depuis quoi ? Quatorze ans. Et d'aussi loin que je me souvienne, t'as toujours été profondément con. Quand on était au collège, c'était moins grave parce que t'étais influencé par les dires de tes parents qui étaient clairement racistes. Je me souviens de la fois où ta mère m'a appelé « banania » pendant une fête d'anniversaire et que tout le monde s'est mis à rire, toi y compris. Mais à présent, tu es un adulte, et non, t'es toujours aussi débile. C'est vraiment triste.
EMMANUEL
Oh ça va Luther, arrête de nous faire le moralisateur ! C'est pas parce que tu portes le nom d'un pionnier de la lutte anti-racisme qu'il faut t'offusquer comme ça pour pas grand chose. On ne s'est pas vu depuis longtemps, donc détend-toi, pète un coup et profite du moment. D'ailleurs, en parlant de Martin, tu devrais être content, le Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse a publié une vidéo en hommage à son discours.
LUTHER
Il rit jaune.
Et il n'y a absolument rien qui t'as choqué dans cette vidéo ?
EMMANUEL
Stupéfait.
Absolument pas, au contraire, j'ai trouvé ça bien, mais vu ta tête, je ne vais pas tarder à découvrir le pot-aux-roses. T'es devenu relou avec les années toi.
LUTHER
Il l'ignore et parle.
Je vais tenter de refaire ton éducation une dernière fois, puis après ça, je m'en irais parce que je sais que tu es un cas désespéré, tu danses avec la connerie depuis bien trop d'années pour qu'une phrase de moi ne fasse cela changer. Le discours « I have a dream » a été prononcé par Martin Luther King le 28 août 1963 à Washington devant le Lincoln Memorial lors de la marche pour les droits civiques des personnes noires. Le but de cette marche et de ce discours était de prôner l'égalité pour tout individu habitant cette Terre quel que soit son origine, sa couleur, sa taille, son sexe etc et notamment pour les membres de la communauté noire. Martin Luther King portait la cause noire dans son cœur et dans ses mots jusqu'à son assassinat et il a prononcé ce discours justement parce que notre communauté était opprimée de toute part. Alors quand le Ministère de l'éducation nationale décide de faire jouer ce discours à des enfants blancs qui ne connaitront jamais un quart des discriminations qu'un enfant noir du même âge peut subir, il y a un gros problème oui. Et je pourrais t'en dire plus, mais tu mérites de rester dans ta bêtise tant tu es ignare.
Il s'apprête à se lever.
EMMANUEL
Tu n'vas pas déjà t'en aller ?
LUTHER
Je suis déjà resté trop longtemps à mon goût.
Il prend son sac et se lève.
EMMANUEL
De toute manière, quoi qu'on fasse, vous n'êtes jamais contents. Quand on vous pointe du doigt pour vos actions, vous criez au racisme et quand on vous rend hommage, vous trouvez quand même le moyen de vous plaindre.
LUTHER
Justement, c'est là que tu n'as rien compris. Il n'a jamais été question de nous rendre hommage, la communauté noire s'en passerait bien, la seule chose que nous exigeons et pour laquelle nous nous battons depuis des années c'est l'égalité et cela implique le respect. Et il n'y a absolument rien de respectueux dans cette démarche. Ces pauvres gosses sont des pantins et c'est seulement plus tard qu'ils réaliseront qu'on les as utilisé pour faire passer un message bien moins positif que le rêve qu'avait Martin Luther King.
EMMANUEL
Au moins tous ces petits jeunes connaissent le fameux discours de ton Martin Luther King et puis nous sommes en France, donc les messages passent mieux lorsque ce sont des blancs qui s'expriment.
LUTHER
On va s'arrêter là. Je pensais que le temps t'aurais fait grandir, mais à présent, c'est encore pire. Et pour ma réputation de noir fier de sa peau ébène, de son histoire et de son parcours dans la lutte contre les inégalités, je préfère ne plus jamais rien à voir à faire avec toi.
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